Le ciel est sombre. L’air froid me fouette le visage tandis qu’un puissant vent offshore forme des vagues lisses et bien définies. Il y a à peine cinq courageux dans l’eau. Un set se profile au loin et vient assombrir davantage l’horizon. Je suis trop à l’intérieur et je n’aurai pas le temps de pagayer au-delà du break, là où les vagues casseront, ce qui m’obligera à duckdiver dans cette eau glaciale qui frôle le point de congélation.

Nouvelle-Angleterre

photo Bruno Fernandes

Mon équipement me garde au chaud à l’exception de mon visage, unique partie de mon corps qui n’est pas protégée. Voilà la première vague qui casse devant moi. Je pousse ma planche sous l’eau et effectue un duckdive au meilleur de mes capacités tout en retenant les jurons qui me passent par la tête alors que l’eau froide vient agresser mon visage. C’est la première vague, c’est encore soutenable. Mais voilà qu’une deuxième, puis une troisième vague se profile au loin m’obligeant à replonger sous l’eau presque noire et provoquant une douleur quasi insoutenable à ma tête. Il s’agit des fameux brain freezes que tous les surfeurs d’eau froide ont déjà expérimentés. Les larmes me montent aux yeux alors que je plonge à nouveau afin d’éviter une quatrième vague. Enfin, le set se termine et je peux m’asseoir tranquillement sur ma planche en reposant mes muscles et surtout ma tête endolorie, en attendant la prochaine série de vagues. Cette fois, je serai au bon endroit pour tenter d’attraper une vague. Parfois, mes espoirs seront vains tandis qu’à d’autres moments, je parviendrai à prendre une, peut-être deux vagues décentes au cours de ces sessions écourtées par le froid.

Alors que je suis dans l’eau, dans cet environnement si austère et que j’attends en frissonnant une rare vague qui récompensera tous mes efforts, je me prends à rêver à ces chaudes séances au Costa Rica, au Nicaragua ou en Indonésie. Ces moments où seul un bikini m’habille et que c’est l’appel d’une bonne bière fraîche et non un réel risque d’hypothermie qui interrompt mes sessions. Et pourtant, ce sont ces sessions imparfaites, dans les eaux glaciales de la Nouvelle-Angleterre qui m’apportent le plus de bonheur…

photo Bruno Fernandes

Je ne saurais expliquer si c’est l’immense sentiment de fierté qui m’habite lorsque je constate que j’ai de nouveau repoussé mes limites, la montée d’endorphines qui m’envahit à la suite de mes efforts ou encore est-ce simplement la lutte mentale que je mène contre moi-même, véritable jeu d’échec pour l’esprit, qui m’anime à chaque fois. C’est peut-être également la joie de plonger dans une eau froide, mais aussi connue, de m’arrêter dans les surf shops et les restaurants où des visages familiers m’accueillent, de savoir quels spots fonctionnent avec tels vents et tels swells. Pour une surfeuse comme moi, qui a grandit loin des vagues, la cote Est américaine est ce qui ressemble le plus à un spot local. Bien sûr, je ne serai jamais une locale même parmi les surfeurs amicaux de la Nouvelle-Angleterre, alors je considèrerais plutôt ces plages comme un home spot, un endroit familier bien qu’imparfait, où on se sent un peu chez-soi. Pour certains, cet endroit se trouve sur une belle droite en Équateur ou encore sur les beach breaks de la Caroline du Nord où ils vont passer tous leurs étés. Pour moi, c’est la Nouvelle-Angleterre, et bien que l’aventure soit toujours remplie de promesses, il n’y a rien de tel que de surfer à la maison.

Allez, à vos wetsuits !

Laurence | Par Bruno Fernandes