Photo par Morgan Maassen
Soyons respectueux devant le possible dont nul ne sait la limite – Victor Hugo
En lisant récemment mon dernier exemplaire de Surfer Magazine, j’en suis venue à réfléchir au concept de frontières ou plutôt au concept de limites.
Bien sûr, d’un point de vue géographique, le surf amène à parcourir les quatre coins du globe afin de découvrir des nouvelles vagues. Même les plus chanceux qui sont nés face à l’océan n’hésitent pas à traverser les limites de leur pays pour aller surfer des spots mythiques, des vagues moins occupés ou tout simplement pour sortir de la routine et explorer des horizons nouveaux. S’il y a bien quelque chose qui vient avec la pratique de ce sport qu’on aime tant, outre le joli tan et les cheveux mêlés, c’est un passeport rempli d’estampes.
Mais bien au delà des frontières physiques, ce sont avant tout les limites psychologiques que nous sommes appelés à franchir dès que nous posons nos pieds sur une planche. L’océan étant un élément imprévisible, tout surfeur doit accepter de sortir un peu de sa zone de confort quand vient le temps d’affronter les vagues.
Je me rappelle d’une session bien particulière à Puerto Rico l’an passé. Après avoir passé quelques jours à surfer des vagues amusantes à hauteur d’épaule puis carrément des longues droites surfables uniquement en longboard, mon copain et moi nous étions réveillés un lundi matin avant l’aube afin de profiter d’une dernière session avant de sauter dans notre avion en direction de Montréal. Nous savions que le swell serait de retour mais au fur et à mesure que les premières lueurs du jour commençaient à éclaircir l’horizon, nous réalisions que les vagues dépassaient solidement le head high (se dit d’une vague aussi haute que la taille d’un humain). Mon copain, qui a presqu’appris à surfer avant de savoir marcher (j’exagère à peine) était aux anges tandis que moi, qui sors à peine de kookville, je restais silencieuse tout en cherchant le courage de me jeter à l’eau.
Ne voulant pas paraître lâche, j’ai fini par me lancer en me disant que mon copain serait là s’il arrivait quoi que ce soit. Mais plus nous pagayions vers le large, plus les vagues prenaient de l’ampleur. Les vagues continuaient de grossir et certaines atteignaient maintenant le double overhead (deux fois la hauteur d’un humain). Il y avait peu de surfeurs autour de moi et mon seul allié en profitait pour prendre une vague après l’autre et disparaissait de longues minutes, m’abandonnant à mon sort. J’étais prisonnière de mes émotions, prise entre la crainte de ces vagues si puissantes et si hautes, mon sentiment de respect devant ce spectacle absolument magnifique et l’envie de moi aussi, profiter de ces conditions optimales.
Après de longues minutes à me dire que j’avais sûrement laissé mes couilles sur la plage, j’ai finalement trouvé le courage de me lancer et de tenter de prendre une vague. Le wipeout fût mé-mo-rable. J’ai essayé à nouveau, à quelques reprises, un peu à reculons, sans jamais réussir à surfer une vague. À chaque fois, la chute était sans merci. Au bout d’environ une heure, et après un énième wipeout particulièrement féroce, je me suis dit que ces conditions étaient au-delà de mes limites et qu’il était temps de rentrer.
En retournant vers la plage, je me sentais déchirée entre la fierté de m’être jetée à l’eau et l’amère déception de ne pas avoir réussi à attraper une vague qui aurait été exceptionnelle j’en suis sûre. J’étais déçue d’avoir été freinée par ces limites qui au final, n’existent que dans ma tête.
Durant mes nombreuses années à faire de la compétition d’aviron, j’avais pourtant appris à dépasser mes limites. Durant une course, lorsque je croyais que j’étais à bout de souffle, que tous mes muscles brûlaient et que mes poumons appelaient à l’aide, je poussais encore plus fort et c’est généralement à ce moment que la magie opérait et que je dépassais une adversaire.
Pourtant en surf, j’ai tendance à davantage respecter mes limites, peut-être, parce que l’océan peut parfois s’avérer effrayant, voire dangereux. Ces limites sont toutefois une construction de mon esprit ; je suis la seule à les fixer.
Mais qu’arriverait-il si j’essayais de les pousser un peu plus afin d’élargir le cadre de mon potentiel de quelques millimètres à chaque fois ?
Si ce lundi matin à Puerto Rico, au moment où j’avais décidé de retourner vers la plage, je m’étais dit –juste une dernière ?
Et si j’étirais le concept à tous les aspects de ma vie et qu’à chaque fois que je crois atteindre une limite, je me mets au défi d’en donner juste un peu plus ?
Et si nous nous y mettions tous ?
Et bien, j’ai l’impression qu’à nouveau, on verrait la magie opérer.